mardi 30 avril 2013

Enola game


Mon avis
 
                                    "que reste-t-il quand il ne reste rien ?"   


Il y a la vie avant Enola game, et la vie après Enola game. La petite l'appelle la grande lumière, mais qu'est-ce en réalité ? C'est un ravage.
Nous suivons le destin d'une mère et de sa fille de quatre ans enfermées chez elles contre leur gré. Jour après jour cette mère doit se battre pour sa fille ; faire semblant devient son quotidien ; alors elle replonge dans ses souvenirs pour puiser de belles choses à partager avec son enfant. La saveur de la pâte d'amande de sa jeunesse, la douceur d’un sourire, la pluie, le beau temps. Parfois, elle rêve, mais même les rêves deviennent cauchemars.

Pour assurer leur survie, des militaires envoient des vivres aux habitants au pas de leur porte, mais il est interdit de sortir plus de quelques minutes car l'air a été touché lui aussi. La mère parfois s’accorde tout de même quelques instants de liberté dans son jardin, mais l’atmosphère y est tout aussi étouffante, comme si la nature n’était plus qu’un décor vieilli, une triste illusion. Puis, les militaires finissent par ne plus venir et sont vite remplacés par des vandales qui dépouillent sans pitié les gens. Christel Diehl nous raconte cette catastrophe aux allures de fin du monde sans fioritures ; les mots deviennent poétiques là où la poésie n'existe plus.

Finalement, Enola game est peut-être une chance de « tout recommencer », se débarrasser des futilités et enfin devenir soi ! Une chose est sûre : l’auteur, en écrivant, dénonce le matérialisme auquel nous sommes tous en proie à cette époque où internet dicte les règles et où la télévision est reine. Ainsi, c’est un roman qui remet en question notre rapport au monde. La mère se souvient d’un temps où elle rêvait d’en avoir plus justement, mais maintenant qu’elle en a trop elle ne sait plus qu’en faire. Alors, inlassablement, elle écrit des vers qu’elle ne veut oublier, des pensées capturées à l’instant qui s’évanouit, elle écrit, elle écrit, jusqu’à ce que cela devienne une question de survie.

C’est en lisant Enola game que nous prenons conscience de l’importance du rapport à l’autre mais aussi des mots, car c’est en couchant quelques lettres sur le papier que notre vie prend forme, et il en va de même pour des paroles échangées avec un être cher. Le style impersonnel qu’utilise Christel Diehl crée une atmosphère étrange ; mais alors que le « Elle» qui désigne la mère devrait nous éloigner du personnage, nous ne nous sommes jamais sentis aussi proches de quelqu’un. Ce huis-clos mère-fille est émouvant et d’une grande force, car il s’efforce de préserver la vie dans ce monde où elle n’a plus de sens. L’espoir devient alors le mot d’ordre de nos deux personnages, l’espoir d’un changement, l’espoir d’un lendemain pour cette petite fille qui n’a encore rien vu du monde, et qui, avec ses yeux innocents aborde cette catastrophe avec candeur. C’est ainsi que se déroule un goûter d’anniversaire improvisé au coin de la cheminée, mais qui au fond n’a jamais été aussi chaleureux. Que les coups de feu incessants se transforment en feux d’artifices multicolores dans cette petite tête qui ne manque pas d’imagination. Finalement cet enfant pourrait bien être le sens, l’essence même de notre existence.

Mais malgré cet espoir, l’histoire prend parfois des allures effrayantes et nous amène à nous poser des questions sur notre propre condition. En effet, pourrions-nous en arriver là ? Nous essayons d’abord de nous raisonner, « ça n’est qu’un roman ! », oui mais… Un roman bien réaliste ! Nous réalisons alors amèrement que nous ne sommes pas à l’abri de notre « Enola Game », ou devrait-on dire de la bêtise humaine. Il nous suffit de regarder autour de nous et l’on comprend que cette mère pourrait bien être la nôtre, et cet enfant notre triste reflet. Des héros de nulle-part mais des héros de toujours. Au fond, Christel Diehl nous livre en force tranquille une petite bombe qui ne peut que nous faire réagir. Je n'ai d'abord pas été enthousiasmée par ma lecture, mais au fil des pages, les frissons se sont emparés de moi et alors j'ai su qu'Enola game était un grand roman !

Il m'a parfois fait penser au livre Je suis une légende de Richard Matheson pour cette solitude et ce cataclysme. Mais parfois aussi à Fin de partie de Beckett car on ne sait jamais vraiment ce qui se passe dehors. La mère, parfois, se hisse en haut d'une fenêtre et observe le monde à travers ses jumelles, comme le personnage de Clov chez Beckett. Oui Enola Game est le roman de la fin de partie. Alors, «que reste-t-il quand il ne reste rien» ? Je vous laisse le découvrir, car Enola Game est une chose à vivre par soi-même et je ne voudrais pas vous en dévoiler d'avantage.
 
 
S'il fallait une note : 8/10
 
Titre : Enola game
Auteur
: Christel Diehl
 

nombre de pages : 118
Edition, collection : Editions Dialogues

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